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Quelles dirigeantes pour demain ?


Quelles dirigeantes pour demain ?

Un moyen d’imaginer l’avenir est de prolonger les tendances en cours. Sur la question de la place des femmes dans la direction des organisations, certains grands courants se dessinent depuis quelques décennies. Approches quantitatives (combien de femmes dirigeantes dans tel ou tel secteur ?) ou qualitatives (en quoi cela change-t-il les choses ?) esquissent certaines tendances.

Les dirigeantes de demain seront-elles plus nombreuses ?

Depuis une quarantaine d’années, au niveau mondial, la gouvernance politique se féminise peu à peu. Vaste mouvement tectonique, à l’échelle mondiale : des femmes ont été élues présidentes de leur pays en Europe dès 1980, en Asie à partir de 1986, en Afrique en 2005, en Amérique du Sud en 2006 (l’Amérique du Nord, pour quelques années encore semble-t-il, manque encore à l’appel). Certes, numériquement, les femmes politiques restent très sous-représentées partout dans le monde, et notamment en France : notre Assemblée Nationale ne compte que 27% des députées. La parité est encore loin, mais c’est quand même dix fois plus qu’en 1980. Le mouvement est en marche et on ne s’étonne plus désormais de la présence de ministres femmes à la table des conseils des ministres, ou de celles de femmes présidentes dans les réunions internationales. Même des pays réputés machistes (le Chili, le Brésil, l’Argentine…) ont élu des femmes à leur tête.

Qu’en est-il en entreprise ? Le tableau n’est pas encourageant. En 2015, moins de 3% des dirigeants de grandes entreprises recrutés dans le monde ont été des femmes. Un chiffre en baisse comparé aux années précédentes. En France, les femmes représentent aujourd’hui moins de 15% des dirigeants d’entreprise. Le nombre a à peine progressé depuis dix ans. Au sein du CAC 40, on compte seulement trois dirigeantes : Sophie Bellon, présidente du conseil d'administration de Sodexo, Isabelle Kocher, directrice générale d'Engie, et Élisabeth Badinter, présidente du conseil de surveillance de Publicis (on notera au passage que deux sur trois ont reçu l’entreprise par transmission familiale, ce qui n’est pas anodin).

Du côté des PME, la situation n’est pas vraiment différente. Si l’on compte 30% de femmes parmi les créateurs et chefs d’entreprises toutes tailles confondues, la proportion est divisée par deux dans les entreprises de plus de 10 salariés. Quelques exemples du phénomène, pris directement de notre expérience de terrain : l’IAD, fonds d’investissement auquel je participe, est actif en région PACA auprès d’une cible de jeunes entreprises de croissance. Dans un portefeuille de 41 entreprises financées, 4 seulement sont dirigées par des femmes. Au sein d’un club que j’anime, constitué d’entrepreneurs de croissance engagés dans la RSE, 7 seulement sont des femmes sur un total de 47, soit 15%. 15% c’est aussi le nombre de lauréates parmi les nouveaux entrepreneurs dit « à potentiel », soutenus par Réseau Entreprendre en France. Et pourtant, aucune volonté sexiste a priori dans ces organisations, toutes soutenues par des valeurs éthiques fortes.

Le constat est le même dans les comités de direction de grandes entreprises : l’Observatoire de la féminisation des entreprises, dirigé par Michel FERRARY, a analysé la composition des Codir de 45 entreprises : 52 femmes parmi les 504 membres des comités de direction, soit à peine plus de 10% des effectifs. Et sur le lot, 30 entreprises, soit les deux tiers de l’échantillon, ont zéro ou une seule femme à la table de direction…

Pourtant quelques signaux faibles apportent des lueurs d’espoir : on compte de plus en plus de dirigeantes dans les entreprises de plus de 50 salariés, et dans des secteurs traditionnellement féminins (automobile, énergie…). Mais au rythme actuel, combien de décennies faudra-t-il pour parvenir à une réelle égalité ? « Ma génération, c’est triste, ne va pas vraiment changer les chiffres au sommet. Ils ne bougent pas,déplore la Directrice Générale de Facebook, Sheryl Sandberg. Dans ma génération, il n’y aura 50% de femmes au sommet d’aucun secteur. Mais j’ai bon espoir que les générations futures le puissent ». La mise en place de contraintes réglementaires pour assurer la parité dans les organes de gouvernance, CODIR compris, serait-elle la solution ?

En phase avec l’évolution du management

Pour autant, au-delà des chiffres, l’évolution du métier de dirigeant n’est-elle pas une composante à prendre en compte dans la féminisation des postes de direction ?

On ne dirige plus aujourd’hui comme on le faisait hier. En écho aux profonds changements sociétaux, une évolution – une révolution ?- des modes de gouvernance et de management est clairement en cours. Avec des citoyens, des salariés, des équipes, de mieux en mieux formés, de plus en plus éclairés et conscients, les besoins d’explications, de concertation, de dialogue, d’attention, de sens, se développent partout.

C’est vrai en politique, en société, en famille… comme en entreprise. Un changement théorisé par un chercheur américain, Clarence Grave, dans le concept de « Spirale dynamique », qui décrit les différentes phases d’évolution d’une organisation. Selon sa grille de lecture, nous serions en train de passer d’un monde matérialiste ancré dans la compétition, la performance et l’abondance à un monde plus tourné vers le partage, la collaboration, la relativité, l’appartenance. Des valeurs que les sociologues identifient bien au sein des jeunes générations.

Les femmes portent-elles mieux ces valeurs ?

On peut dès lors s’interroger : les femmes portent-elles mieux ces valeurs, ces comportements, que les hommes ? Le débat existe, avec en toile de fond un autre questionnement : si différence il y a, quelle est la part de l’éducation, de la culture, dans cela ?

Plusieurs recherches récentes en sciences sociales ont mis en évidence que femmes et hommes se comportent différemment dans les organisations. Arrêtons-nous à nouveau un instant sur les témoignages de terrain, issus de ma propre pratique.

La directrice générale d’un groupe de tourisme français, engagée dans l’entrepreneuriat au féminin, nous a dit : « La dirigeante n’est pas différente du dirigeant ! Elle a les mêmes ambitions de pouvoir, de réussite et de performance. La différence se fait au niveau des moyens qu'elle va mettre en place pour obtenir des résultats, pour manager ses équipes, pour améliorer les performances de son entreprise ».

Un point que nuance le dirigeante d’une PME industrielle : « Nous ne basons pas notre leadership sur l’égo, mais sur les compétences. Et les compétences d’un dirigeant passent beaucoup par le relationnel ».

Avec une éducation valorisant mieux l’écoute, la recherche du consensus, l’empathie, les femmes seraient ainsi mieux adaptées à l’évolution des modes de gouvernance, que les hommes, éduqués dans valeurs et comportements de compétition, de domination, d’insensibilité.

Une enquête particulièrement intéressante a été faite récemment auprès de dirigeants, hommes et femmes, sur leurs motivations et les problèmes qu’ils rencontrent. Résultat : les femmes mettent le management au premier plan de leurs motivations de dirigeantes, quand les hommes privilégient la prise de décisions stratégiques. Dans les difficultés qu’elles rencontrent, elles placent la pression et le stress en premier, suivi par l’équilibre vie pro/vie perso puis la charge de travail. Ce qui peut être vu comme les trois facettes d’une même tension. Pour eux, c’est l’équilibre vie pro-vie perso qui arrive en tête, suivi du stress et… du management. 21% des dirigeants le citent, quand c’est un problème pour seulement 8% des femmes. Le différentiel d’adaptation à l’évolution du management, entre dirigeant et dirigeantes, serait-il déjà à l’œuvre ?

Cette question de l’équilibre entre vie pro et vie perso reste brûlante, des deux côtés : « C’est une tension permanente, confirme une dirigeante qui partage la direction de son entreprise avec son conjoint. Quand les enfants sont petits, ils sont malades tout le temps. Et nous sommes ainsi éduqués que quand un enfant est malade, c’est vers la mère qu’on se tourne… ».

« Je crois que le monde serait meilleur si la moitié de nos entreprises et des pays étaient dirigés par des femmes et la moitié de nos foyers par des hommes, assène de son côté Sheryl Sandberg. Les femmes ne veulent plus qu'on se concentre sur les changements qu'elles doivent apporter à leur conduite, mais plutôt sur un changement profond de la société. Il est très répandu de voir les femmes se mettre en retrait, parfois parce qu'elles ont une famille ».

De fait, les valeurs transmises aujourd’hui dans l’éducation des jeunes filles et des jeunes garçons conditionnent ce que seront les dirigeantes (et les dirigeants) de demain. Et force est de constater qu’il y a encore un chemin énorme à accomplir, quand on voit les différences d’orientation scolaire, et tout simplement de comportement quotidien, des jeunes filles et des jeunes hommes.

« Une nouvelle vérité scientifique ne triomphe pas parce qu’elle convainc ses adversaire et leur fait voir clair, affirmait le physicien Max Planck, mais parce que ses adversaires meurent et qu’une nouvelle génération grandit ».

Ce constat, plutôt cynique, convient aussi aux évolutions sociales. Avec les schémas mentaux issus de siècles de patriarcat qui irriguent nos façons de voir et concevoir le monde, combien de générations faudra-t-il pour que les femmes soient les égales des hommes dans la gouvernance des organisations, et que le mot directrice ne soient plus cantonné aux écoles et aux crèches ? Alors en attendant … bienvenue, madame la Directrice Générale !


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