L’essence de la start-up? La croissance
Il y a eu Facebook, Amazon, Google… Puis Blablacar, Airbnb, Uber… Et déjà émergent WeClaim, Vizeat, Hellocasa et Ouistock.
Depuis quelques décennies déjà, les startups déferlent sur l’économie classique. A l’instar des barbares qui ont signé la fin d’une époque en déferlant sur l’Empire romain il y a 1500 ans, les start-ups agiles, rapides, déterminées, organisées complètement différemment, ont transgressé les frontières, conquis très rapidement de nouveaux territoires, bousculé les modèles établis, fondé des royaumes et imposé, finalement, un nouveau monde.
Quel est le point commun de ces nouveaux monstres ? Quel caractère essentiel, fondamental, fait qu’une startup est une startup, et la différencie radicalement de toute autre entreprise ?
La technologie ? Elle est souvent importante, certes, mais ce n’est qu’un moyen. L’innovation ? Pas plus, si l’on recherche ce qui est vraiment fondamental.
La croissance. La croissance est le maître-mot de la startup.
Sa capacité phénoménale d’accélération, qui la fait dépasser toutes les métriques habituelles de la gestion d’entreprise : plus de 8.000% de croissance en quatre ans pour Horizontal Software, 7.000% pour chauffeur-privé, « seulement » 3.000% pour Disposable Lab … Avec de telles performances, nous nous situons dans les hautes sphères de l’hypercroissance, quotidien de la startup.
C’est la croissance, et non la technologie, qui en est l’essence.
La technologie est fréquemment vue comme le sésame absolu de la croissance. Et ce, souvent à juste titre les startups technologiques sont nombreuses dans beaucoup de domaines : numérique, énergies, biotech, medtech, cleantech, etc. Avec de superbes réussites … souvent rachetées par de grands groupes quand le succès arrive.
Et pourtant, à bien y regarder, les belles réussites citées plus haut ont-elles développé des technologies extraordinaires ? Disposent-elles de laboratoires bardés de PhD et d’ingénieurs ? Non. Toutes utilisent des technologies récentes, mais n’en développent pas elles-mêmes. C’est au niveau des usages que cela se joue.
L’innovation d’usage est aujourd’hui largement reconnue. Ce qui n’a pas toujours été le cas.
Il y a une dizaine d’années, je travaillais dans un incubateur spécialisé dans le numérique, l’Incubateur Belle de Mai, à Marseille. La plupart des projets que nous incubions reposaient sur des innovations d’usage et non des innovations technologiques. Quand ils recherchaient des financements, ces projets se heurtaient à des murs, chez OSEO (le BPI France de l’époque) ou les fonds d’amorçage : « Pas de brevets ? Pas de propriété intellectuelle ? Pas d’innovation technologique ? Passez votre chemin, nous ne vous reconnaissons pas ».
Aujourd’hui, le vent a tourné et parmi les plus grosses levées de fonds françaises en 2016, on trouve la plate-forme musicale Deezer (100 M€) et le service de location de voitures entre particuliers Drivy (31 M€) à côté d’entreprises des medtech (MeDay, 34 M€ ou Eye Tech Care, 25 M€). Au Royaume-Uni, la banque en ligne Starling a levé 70 M£ et en Allemagne, une autre plateforme musicale, SoundCloud a engrangé 95 M$. Bref, l’innovation technologique ne rafle plus toute la mise et l’innovation d’usage est dorénavant bien entrée … dans les usages et dans les portefeuilles des fonds d’investissement.
Pour autant, l’innovation d’usage est-elle l’alpha et l’omega de la start-up, le gène fondamental qui lui donne son identité ? Oui et non.
Partons du terrain : quand Uber « disrupte » l’industrie des taxis, quand Airbnb en fait autant avec les hôteliers, l’usage est-il extrêmement différent ? Pas sûr.
Certes, un voyage avec Blablacar offre une expérience utilisateur très différente de celle d’un voyageur de la SNCF. Mais quand je réserve un chauffeur Uber puis que je voyage dans sa voiture pour aller d’un point A à un point B, mon expérience en tant qu’usager n’est pas très différente de celle d’un usager d’un taxi classique. Même chose quand je passe par Airbnb plutôt que par un groupe hôtelier.
La vraie innovation, la plus porteuse, se situe ailleurs. Elle est dans le modèle économique.
C’est en bouleversant les chaînes de valeur classique, en développant des propositions de valeurs inédites, que ces startups dynamitent les marchés sur lesquelles elles déferlent. Restons sur les cas Uber et Airbnb : en faisant de chaque usager un potentiel fournisseur, on tord le cou aux modèles économiques classiques. N’importe qui peut très bien, sur tel trajet ou tel séjour, être client utilisateur, et sur tel autre devenir fournisseur en mettant à disposition sa voiture ou son logement.
Il s’agit là bien plus qu’une évolution de la chaîne de valeur : on la dynamite, on la disperse, on la ventile … Dans les faits, on la métamorphose. On transforme une chaîne en réseau : chaque acteur n’est plus un maillon mais un nœud, relié avec plusieurs autres nœuds.
Les conséquences en sont vertigineuses.
Par exemple, l’intensité capitalistique s’en trouve amoindrie dans des proportions sidérantes. Imaginons qu’un acteur féru d’économie traditionnelle prétende prendre pied sur le marché de l’hôtellerie et devenir un leader mondial. Quelles sommes devra-t-il mettre sur la table pour acquérir ou construire des hôtels dans toutes les villes importantes de la planète ? Quel temps cela lui prendra-t-il ? Airbnb est capable d’ouvrir une ville toutes les 24 heures. En proposant dans la foulée plusieurs dizaines voire plusieurs centaines de chambres, et ce, pour un coût d’investissement minime. Avec pour conséquence une vitesse de développement proprement vertigineuse.
La croissance des startups repose sur ces actes de transgression. La part de risque y est très importante, à la hauteur de l’espoir de gain. L’agilité y est donc une obligation : il faut savoir en permanence et très rapidement se lancer, modifier sa trajectoire en fonction des retours de l’environnement, pivoter, repartir… En lien avec cette nécessaire rapidité, les décisions se prennent souvent plus au feeling que sur la base de solides études, bien documentées.
Un mode de fonctionnement qui est l’exacte antithèse de celui des acteurs établis, des grands groupes de l’économie traditionnelle. Sueurs froides… quand une position savamment pensée, construite depuis des décennies, sur la base d’investissements considérables, se voit soudain assaillie de toute part et mise à mal presque du jour au lendemain par une bande de joyeux barbares, sortis de nulle part, dynamiques et conquérants.
Remise en cause de l’ordre établi, prise de risque, agilité, décisions rapides prises au feeling, hypercroissance … Finalement, n’est-ce pas là les qualités de la jeunesse ?