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Au fait, quel sens donnez-vous à votre travail ?

En d’autres mots, qu’est-ce qui vous a donné envie de vous lever ce matin, de prendre votre voiture, le bus ou le métro, et de venir à votre bureau, votre atelier, votre chantier, y passer la journée ?

Vous êtes-vous déjà posé la question du sens qu’a votre job pour vous ?

Comme le souligne la sociologue Dominique Méda, notre travail peut avoir plusieurs finalités : participer à la création de richesses dont une partie nous est redistribuée sous forme de rémunération, trouver sa place dans la société et interagir avec d’autres, mais aussi y trouver un facteur d’identité, d’épanouissement personnel et de réalisation de soi [i]. Ces trois niveaux sont durement mis à mal par les évolutions du monde du travail, qui engendrent de considérables malaises collectifs et individuels.

Dans ma pratique de coach, je suis régulièrement en contact avec des managers, des cadres voire des dirigeants qui s’interrogent profondément sur le sens de ce qu’ils font.

Ainsi de ce manager qui se voit imposer des process insensés et des reportings écrasants, qu’il doit lui-même appliquer à ses équipes. Ou ce cadre d’un grand groupe, qui après 10 ans à son poste, se demande à quoi ont réellement servi toutes ces années de travail, d’efforts, de challenges relevés, de difficultés surmontées.

C’est encore cet entrepreneur qui, à la tête d’une belle PME qu’il a fondée et développée, prend le temps de se retourner et considère tout ce à quoi il a dû renoncer, à ses enfants qu’il n’a pas vu grandir, aux années qu’il a si peu partagées avec ses proches. Et s’interroge finalement sur le sens d’être venu, ce matin encore, à son bureau. Pour quoi, finalement ? Pour quel sens profond ?

Le monde du travail s’est profondément transformé

Depuis un peu plus d’un siècle (une période finalement très brève dans l’histoire de l’Humanité), le travail a été complètement transformé.

Ce fut d’abord la révolution industrielle, nourrie en main d’œuvre par l’exode rural qui a déraciné des générations entières de leurs terres, les propulsant dans un nouveau monde fait de villes et d’usines. Puis dans ces temps modernes, la taylorisation a divisé le travail en tâches stéréotypées, répétitives. Le management a été inventé, pour faire exécuter ces tâches à une main d’œuvre peu formée. Puis, en même temps que l’innovation est devenue permanente, les échanges se sont mondialisés. Double vertige d’un rapport à l’espace et au temps complètement renouvelé. Après l’atelier, la manufacture et l’usine, est venu le temps des groupes mondialisés, gigantesques, employant des centaines de milliers de salariés partout dans le monde. L’économie s’est financiarisée, tendant à transformer les entreprises en seuls vecteurs de profits pécuniaires.

Vague après vague, le sens du travail s’en est trouvé profondément ébranlé.

Nous connaissons tous aujourd’hui des situations de travail qui ont perdu tout sens pour ceux qui s’y trouvent. François Dupuy en a décrit le phénomène, notamment dans les grandes organisations, dans son ouvrage Lost in Management. L'anthropologue américain David Graeber a lui mis en évidence les Bullshit Jobs, dans une tribune désormais célèbre : A propos du phénomène des jobs à la con. De nouveaux métiers, complètements inutiles, qui prolifèrent dans certains secteurs : RH, management, conseil, finance, et une grande partie des emplois de bureau.

Ancien dirigeant d’un groupe international, Marc Estat a fait un livre de cette vacuité du sens : Néantreprise : dans votre bureau, personne ne vous entend crier. Il y décrit son quotidien absurde, fait de réunions sans intérêt, dans lesquelles on parle un jargon corporate grotesque pour masquer le néant de la pensée[ii]...

Nous connaissons aussi des situations qui s’opposent directement aux valeurs que nous pouvons avoir personnellement, à notre éthique, au monde que nous souhaitons pour nos enfants.

Une des conséquences sombres de cet état de fait est la hausse inédite des risques psycho-sociaux, des burnouts, voire des suicides liés à des causes professionnelles[iii].

Sens au travail, sens interdit ?

Comme l’écrivait le sociologue Edgar Morin, « le sens au travail n'est souvent jamais aussi essentiel que lorsqu'il manque ».

Une étude particulièrement intéressante a été réalisée il y a peu par le cabinet Deloitte et le réseau Viadéo, intitulée Sens au travail ou sens interdit. Cette étude fait apparaître qu’un salarié sur deux explique avoir choisi son métier pour répondre à une quête de sens au travail. Et 56% des salariés estiment que le sens au travail s’est dégradé ces deux dernières années. En cause : les process d’évaluation (chez 40% des répondants), le manque de reconnaissance (43%), la relation managériale (35%), le niveau de rémunération (35%), l’ambiance au travail (33%), les licenciements et plans sociaux (28%), le déséquilibre vie pro/vie perso (25%).

Les verbatim mettent en avant ce que de nombreux travaux de recherche ont déjà dénoncé comme étant à l’origine du mal-être au travail : multiplication des injonctions paradoxales, dégradation de la qualité du lien social, bureaucratie et multiplication des procédures, parfois contradictoires, compétition exacerbée, financiarisation et judiciarisation, individualisme et manque de reconnaissance, taylorisation des tâches ou certains déploiements de Lean Management…

Aujourd’hui, la plupart d’entre nous travaillons pour remplir des objectifs que nous ne maîtrisons pas (et que parfois nous ne comprenons voire nous ne connaissons même pas), pour appliquer des consignes, pour remplir des rapports d’activité... La notion de travail, au sens de réalisation d’une œuvre, se dissout dans les process et les reportings, comme le note avec justesse Vincent de Gaulejac[iv].

Et avec elle le sens du travail, justement…

Or le sens est un des ressorts fondamentaux de notre vie. Le chercheur Daniel Pink en fait un des trois principaux ressorts de motivation (aux côtés de l’autonomie et de la maîtrise, dans son ouvrage La vérité sur ce qui nous motive). Cela ne signifie pas bien sûr que les autres apports du travail soient sans valeur : le besoin de gagner un salaire correct, le besoin de sécurité, le besoin d’appartenance[v]. Ces niveaux-là étant, dans nos sociétés occidentales, satisfaits dans un grand nombre de cas, les besoins de reconnaissance et d’accomplissement deviennent criants. À un certain niveau de salaire, c'est le sens du travail qui importe : travailler dans une entreprise qui partage les mêmes valeurs, qui propose des missions qui ont du sens, animées par des dirigeants qui soutiennent et croient en leurs équipes.[vi]

Avoir un sens pour soi

« Comme tout un chacun, [les travailleurs] ont besoin d’avoir dans leur activité un " sens pour soi ", c’est-à-dire une mise en correspondance entre ce qu’ils sont […] et ce que le monde leur permet de vivre. Ils ont besoin de produire des actions sensées, dans lesquelles, satisfaisant ce qui est demandé, chacun " se retrouve " suffisamment avec son héritage culturel et social. Il y va de l’équilibre de chacun mais aussi de la performance au travail : en effet, lorsque la correspondance entre le projet intérieur et ce que le monde attend de soi se réalise, le sujet peut alors satisfaire la double dimension du travail, c’est-à-dire performance dans le monde extérieur et production de soi dans le monde social et psychique. Mais lorsque cette correspondance se délite, c’est la continuité intérieure et le rapport aux autres qui se défont. L’action devient littéralement insensée, coûteuse, et détruit plutôt qu’elle ne construit »[vii].

C’est un fait connu, pour les générations nées avant les années 1980, que l’arrivée à la maturité, avec l’étape symbolique des 40 ou des 50 ans, est souvent une « crise » (dans le sens de changement important) qui permet d’accéder à ce niveau du sens, les aspects plus fondamentaux des besoins ayant été comblés précédemment. On lira à ce propos avec profit l’article qu’y a consacré mon collègue Xavier Vankeerberghen. Dans ma pratique de coach, combien ai-je vu de cadres de grands groupes, sauter le pas après 15 ou 20 ans de bons et loyaux services, et se lancer dans une nouvelle vie pour eux pleine de sens, et qui passer un CAP de boulangerie, qui ouvrir une maison d’hôte, qui devenir entrepreneur ?

Une autre catégorie est tout aussi sensible à cette quête de sens : les jeunes générations, Y ou Z. Loin d’être les je-m’en-foutistes caricaturés parfois, nos jeunes, mieux éduqués que les générations précédentes, plus ouverts sur le monde, ont pleinement intériorisé que le travail peut être un lieu d’épanouissement personnel. Et ils sont très fortement en demande, pour ne pas dire en exigence[viii].

Ce phénomène illustre bien le passage d’un monde à un autre, décrit dans le modèle de la Spirale Dynamique de Clarence Grave. Un monde ancien, celui des générations précédentes, marqué l’importance de la réussite matérielle, l’abondance, la compétition (symbolisé dans la Spirale dynamique par la couleur orange), cède la place à un monde nouveau (symbolisé en vert) fondé sur la coopération, le partage, la relativité, la prise en compte des autres et de l’environnement.

(La seconde partie de cet article, traitant de la manière de (re)trouver du sens dans son travail, sera publiée prochainement)

Hugues BONNETAIN – Mai 2018

[i] Dominique MEDA : S’épanouir au travail, in : Le Monde, 22 novembre 2011

[ii] Vacuité sur laquelle François DUPUY, encore lui, a également consacré un ouvrage lumineux : La faillite de la pensée managériale

[iii] Voir le travail réalisé en 2016 par la mission parlementaire sur l’épuisement professionnel

[iv] Vincent de Gaulejac : Travail. Les Raisons de la colère, Paris, Le Seuil, 2011

[v] On aura reconnu là bien sûr certains niveaux de la pyramide de Maslow

[vi] http://www.lefigaro.fr/vie-bureau/2017/02/03/09008-20170203ARTFIG00095-ce-que-votre-salaire-change-a-vos-priorites-au-travail.php

[vii] Fabienne Hanique, Le sens du travail

[viii] Voir à ce propos l’enquête de Jean-Laurent Cassely sur La révolte des premiers de la classe.

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